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 Groupe de Travail du Sénat sur les Institutions : pourquoi la pilule ne passe pas

Le groupe de travail du Sénat sur les institutions vient de publier un rapport sur la refondation des institutions.

Ce texte aborde des thématiques diverses, comme l’ancrage territorial, le référendum, les Pouvoirs du Parlement ou encore la composition du Conseil constitutionnel.

Or, ce texte, même s’il démontre évidemment une volonté de bien faire, n’en est pas moins mauvais à nos yeux, du fait que la représentation proportionnelle est absente des propositions sénatoriales.

La proportionnelle, effectivement, est le seul mode de scrutin assurant la représentation de l’ensemble du Peuple, et non uniquement de petits lopins de terre.

Ce texte, en fait, parvient à joindre l’inutile (I) et le désagréable (II).

I Des propositions inutiles :

Le texte met en avant des propositions, qui, même si elles ne sont pas forcément mauvaises, sont loin d’être les plus importantes aux vues de l’état de la Démocratie en France.

Par exemple, il propose de faire pré-remplir la déclaration de patrimoine des élus locaux par l’Administration. Cette mesure, certes, est peut être intéressante, mais il est certain, en revanche, qu’elle ne sauvera pas la Démocratie française.

Une aberration : la proposition demande même d’organiser un débat annuel sur l’intervention des forces armées à l’étranger. Même si on devine aisément que le but est de permettre au Parlement d’être mieux informer, on devine d’autant plus facilement les conséquences d’un tel débat sur la Démocratie et les Institutions : néant. Rien ne ressort de cette proposition.

II Des propositions désagréables :

Le texte ose prétendre qu’il n’y a pas assez d’ancrage territorial en France. Or nous sommes l’un des rares pays du monde à en avoir autant !

À la vérité, cette proposition est uniquement là pour justifier que le Sénat ne veut pas de la proportionnelle. Or, comme dit en introduction, la proportionnelle n’est pas négociable dans une Démocratie digne de ce nom.

Autre justification à la proposition : le retour du cumul des mandats ! Cette règle, dont les français ne veulent plus -à la différence de la proportionnelle- est aujourd’hui totalement anti-démocratique, car, par exemple, un député-maire aura des difficultés à défendre autre-chose que sa commune d’origine. Comme le dit le constitutionnaliste Dominique Rousseau, les parlementaires oublient trop souvent que leur mandat est national.

Ce texte propose également des bonnes choses, notamment un abaissement du seuil d’électeurs inscrits pour le référendum d’initiative partagé, ou la suppression du droit des anciens Présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel. Mais les mauvaises prennent hélas le dessus.

Le président du groupe de travail n’était autre que Gérard Larcher, également président du Sénat, et connu pour être un adversaire de la proportionnelle. Larcher a dit : « La proportionnelle est l’inverse de la proximité ». Nous nous contenterons de répondre : « Le scrutin uninominal est l’inverse de la Démocratie ! »

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Le système Hagenbach-Bischoff en 100 mots

Eduard Hagenbach-Bischoff était un mathématicien et physicien suisse du 19ème siècle.

On lui doit un tout nouveau système de vote proportionnel : l’électeur a autant de voix qu’il y a de sièges à pourvoir dans sa circonscription. Il ne vote pas pour une liste, mais pour des candidats. Il peut voter plusieurs fois pour un même candidat (cumul) et voter pour des candidats de listes différentes (panachage).

Après dépouillement, on calcule le score d’une liste en additionnant ceux de ses candidats ; et après répartition des sièges entre les listes, sont élus les candidats ayant rassemblés le plus de voix individuellement.

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La Suisse, entre démocratie directe et démocratie représentative

Article rédigé par Julien Mathieux

La Suisse, est, selon l’indice de démocratie publié chaque année par le média britannique The Economist, la sixième meilleure démocratie du monde, derrière certains pays scandinaves et la Nouvelle-Zélande.

La Suisse est souvent citée en exemple par les hommes politiques français ayant dans leurs programmes électoraux une réforme institutionnelle majeure. Effectivement, la Suisse est, avec le Liechtenstein, l’État avec les systèmes de démocratie directe et de participation citoyenne les plus développés.

Mais comment fonctionne exactement la démocratie helvétique ?

Nous allons tout d’abord aborder le fonctionnement des institutions de la Suisse, puis nous verrons à quoi ressemblerait la France si elle possédait une Constitution similaire à celle de la Suisse.

I-La Constitution suisse.

La Constitution suisse est l’une des plus longues du monde. Il faut dire que, en plus de définir les institutions fédérales et les rapports entre ces dernières, elle comporte une longue déclaration de droits et de buts, à l’instar du droit primaire européen. À défaut de Droits de l’Homme et du citoyen, la Suisse nous livre un Droit du Peuple et des Cantons.

La Suisse a conservé ses principes constitutionnels depuis le Printemps des Peuples de 1848 ; elle est, à ce titre, la seule Nation du monde où ce dernier n’ait pas échoué. L’actuelle Constitution date de 1999.

Malgré son nom en forme longue de Confédération suisse, la Suisse est de nos jours un État fédéral, à l’instar du Canada ou de l’Allemagne : un État formé de 26 États (les cantons). Dans un pays composé de plusieurs communautés linguistiques et culturelles, la Constitution est l’un des rares dénominateurs communs.

A- La démocratie directe.

Les outils de démocratie directe sont particulièrement développés en Suisse. Le principal outil de cette démocratie est bien évidemment le référendum. Il est obligatoire dans certains domaines, comme la révision constitutionnelle, l’adhésion à des organisations supranationales, ou la promulgation de lois d’urgence, parfois en désaccord avec la Constitution. Dans tous ces domaines, il existe une particularité en Suisse : la double majorité. Effectivement, la Suisse étant une Fédération, il faut que la majorité des suffrages exprimés et la majorité absolue des cantons approuvent la loi qui leur est soumise. Sur des thèmes d’importance secondaire, la loi doit simplement réunir la majorité des suffrages exprimés.

Il existe une procédure de référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui est abrogatoire. En d’autre terme, à l’issue de l’adoption d’une loi par l’Assemblée fédérale (le Parlement), cinquante mille citoyens, ou bien les autorités de huit cantons, ont cent jours pour soumettre une loi au peuple (et non aux cantons) par voie de référendum.

Il existe un autre outil de démocratie directe : l’initiative citoyenne. Cette initiative ne peut pas être législative, mais uniquement constitutionnelle. Autrement dit, cent mille citoyens peuvent, ensemble, déposer une proposition de modification constitutionnelle. Dans ce cas, l’Assemblée fédérale peut proposer un contre-projet. Les deux projets sont ensuite soumis au référendum, à la majorité du peuple et des cantons.

B-La Démocratie représentative.

La Suisse est un régime présidentiel et directorial. Présidentiel car l’organe exécutif n’est pas responsable devant le Pouvoir législatif. Directorial car, en lieu et place d’un Président ou d’un Premier ministre, il y a sept conseillers fédéraux (ministres), tour à tour Président de la Suisse, qui gouvernent collégialement ; autrement dit la forme du Gouvernement de la Suisse est le directoire exécutif.

La Suisse est donc un régime présidentiel, avec une séparation des pouvoirs très stricte. Cependant, et étonnamment pour ce type de régime, c’est pratiquement un régime d’Assemblée, tant le Parlement est doté de larges pouvoirs. C’est d’ailleurs la seule démocratie parlementaire possédant un régime présidentiel.

L’Assemblée fédérale est composée de deux Chambres, le Conseil national, qui représente le Peuple, et le Conseil des États, qui représente les cantons. Au Conseil national, chaque canton élit un nombre de députés proportionnel à son pourcentage de population par rapport à la population suisse (avec a minima un représentant). Au Conseil des États, chaque canton élit deux députés, sauf les anciens demi-cantons, qui n’en élisent qu’un. Les deux Conseils possèdent exactement les mêmes Pouvoirs. Mais, lorsqu’ils procèdent à des élections communes, il est évident que les cantons (46 députés) sont dépassés par le peuple (200 députés). Les Conseils exercent le Pouvoir législatif ; à cet effet, toute loi doit être votée dans les mêmes termes par les deux Conseils.

Le Conseil fédéral est élu par les membres de l’Assemblée fédérale. Il est composé de sept ministres appelés conseillers fédéraux. La coutume veut qu’ils soient tour à tour Président de la Confédération. Ce rôle est purement fonctionnel, puisque le Président de la Suisse n’est que l’animateur des débats du Conseil fédéral, qui gouverne collégialement. Autrement dit, sa voix ne prime qu’en cas de partage. Il ne dispose d’aucun pouvoir hiérarchique sur les autres ministres. Chaque conseiller fédéral, y compris le Président, est à la tête d’un ministère (appelé « département »). Il existe un chancelier de la Confédération, qui est l’état-major du Conseil fédéral, c’est-à-dire qu’il l’assiste dans la préparation de ces délibérations et dans ses relations avec l’Assemblée fédérale.

Le Tribunal fédéral, sorte de Cour suprême (mais n’ayant aucune compétence de Cour constitutionnelle), est élu par l’Assemblée fédérale, de la même façon que le Conseil fédéral.

Au niveau cantonal, les choses sont différentes. Il n’y a qu’une seule Chambre au Parlement, généralement appelée Grand Conseil dans les cantons francophones, et l’exécutif consiste en un Conseil d’État (dans les cantons francophones), élu au suffrage direct, contrairement au Conseil fédéral. Dans beaucoup de Cantons, les juges sont élus au suffrage direct.

Il existe également des Conférences intercantonales, véritables Parlement au niveau régional ou national dans tous les domaines où les Cantons sont compétents plutôt que la Confédération. Ces Conférences aboutissent à des conventions, qui sont exécutées par le Conseil fédéral comme les lois fédérales. Ce sont donc des traités au sein de la Confédération.

C-Les modes de scrutin

Les membres du Conseil national sont élus au scrutin proportionnel plurinominal, sur la base des quotients et de la plus forte moyenne d’Hondt. Chaque canton forme une circonscription. Dans chaque canton, les électeurs ont autant de voix qu’il y a de sièges à pourvoir, et votent directement pour les candidats organisés en listes. L’électeur a trois possibilités : voter pour une liste pré-ordonnée, modifier une liste pré-ordonnée, ou composer sa propre liste. Il peut latoiser (c’est-à-dire rayer un nom), panacher (voter pour des candidats de listes différentes) ou cumuler (donner deux voix, au lieu d’une, à un candidat). Il n’est pas obligé d’utiliser toutes ses voix. On calcule le score d’une liste en additionnant les scores en voix de ses candidats, puis on répartit les sièges. Les listes peuvent s’apparenter, et, dans ce cas, on calcule d’abord les sièges des listes entre apparentements. Ce système d’apparentements peut être avantageux, car la méthode d’Hondt donne une petite prime à la majorité. Sont élus, sur chaque liste, les candidats ayant rassemblé le plus de voix sur leurs noms.

Les membres du Conseil des États sont élus d’une façon déterminée par chaque canton. À l’exception des députés de deux Cantons qui utilisent la proportionnelle, ils sont tous élus au scrutin de liste majoritaire, selon les modalités suivantes : chaque électeur a autant de voix qu’il y a de députés à élire (donc une à deux voix). Il vote pour les candidats de son choix. Il peut panacher et cumuler. À la fin, sont élus les candidats ayant rassemblé le plus de voix, et un certain quorum de bulletins valables (un quart, un tiers ou la majorité absolue – sachant qu’il y a plusieurs voix par bulletins valables). Si des sièges restent à pourvoir, il est procédé à un second tour, à l’issue duquel sont élus les candidats ayant obtenu le plus de voix.

Chaque membre du Conseil fédéral et du Tribunal fédéral est élu à la majorité absolue par l’Assemblée fédérale, mais selon la règle informelle de la formule magique. Autrement dit, les partis politiques présents à l’Assemblée doivent être représentés au Conseil et au Tribunal proportionnellement au nombre de sièges qu’ils ont à l’Assemblée fédérale. La majorité absolue ne s’obtient pas en deux tours : lors des deux premiers tours, tout le monde peut être candidat. Par la suite, à chaque tour de scrutin, on élimine le candidat qui a eu le moins de voix pour les tours suivants. Précisons que les juges et les ministres sont élus un par un. Les diverses régions linguistiques suisses doivent, selon une règle informelle, être représentées équitablement au Conseil et au Tribunal. Une autre règle informelle veut que chaque canton ne puisse avoir qu’un seul conseiller fédéral.

Dans les cantons, le Gouvernement est élu au scrutin de liste majoritaire, de la même façon que les membres du Conseil des États, en deux tours, avec un quorum variable d’un canton à un autre. Presque tous les Parlements cantonaux sont élus à la représentation proportionnelle. Dans certains cantons, même, avec une particularité : la méthode biproportionnelle, une alternative au système compensatoire : plutôt que de calculer la répartition des sièges circonscription par circonscription, on calcule le nombre de sièges auquel chaque parti a droit pour l’ensemble du canton, et ce n’est qu’ensuite que les sièges sont répartis entre les circonscriptions. Ce système a un désavantage : le résultat en siège d’une circonscription ne correspond pas forcément au résultat en voix dans cette même circonscription, puisque les voix sont calculées à partir du canton entier. De plus, il empêche d’avoir des listes totalement ouvertes puisque, dans ce système, les électeurs ont le même nombre de voix quel que soit le nombre de députés de leurs circonscriptions.

II- Le système suisse appliqué à la France et à l’Union européenne.

A-Le cas de la France.

Si nous appliquons le système suisse au cas de la France, il convient de modifier plusieurs variables de notre pays : le voici devenu une Fédération de Provinces. La Constitution contient une longue déclaration des droits et des buts sociaux de l’État. La Constitution ne peut être modifiée que par référendum. Un million de citoyens peuvent désormais proposer une modification de la Constitution, auquel cas le Parlement peut proposer un contre-projet.

Pour les sujets importants, il faut l’accord de la majorité des suffrages exprimés et de la majorité des Provinces. Pour les autres sujets, la majorité des suffrages exprimés suffit.

La procédure d’adoption du Traité de Lisbonne par voie parlementaire n’aurait jamais pu se faire, car le référendum serait toujours exigé pour adhérer à une organisation supranationale.

Le Parlement serait composé de deux Chambre, disposant des mêmes pouvoirs : l’Assemblée nationale et l’Assemblée des États. À l’Assemblée nationale, chaque Province aurait autant de députés qu’elle a de parts de la population. Les députés du Peuple seraient élus à la représentation proportionnelle, avec des listes totalement ouvertes. À l’Assemblée des États, chaque Province aurait deux députés, à l’exception de celles qui ont été découpés pour des raisons démographiques (Haut-Languedoc et Bas-Languedoc, par exemple – encore que certains Cantons suisses récemment découpés, comme le Jura, ont droit à leurs deux députés). Les députés des Provinces seraient élus au scrutin majoritaire à listes ouvertes.

Le Gouvernement serait composé de quinze ministres (contre sept en Suisse car, la France étant un État-providence, elle possède plus de services publics). Les ministres seraient élus un par un, mais à la représentation proportionnelle des groupes, par les députés du Parlement. Le vote se ferait par élimination progressive en l’absence de majorité absolue. Chaque année, le Parlement élirait, au sein du Gouvernement, le Président de la République, qui serait l’animateur des débats.

Dans les rapports entre institutions, le Gouvernement ne pourrait pas dissoudre le Parlement, ni le Parlement renverser le Gouvernement.

Chaque Province aurait en outre sa propre Constitution, et serait souveraine dans les domaines de compétences autres que ceux exercés par la Fédération. On peut penser que chaque Conseil provincial serait composé de membres élus au scrutin de liste majoritaire, et que presque toutes les Assemblées provinciales seraient élues au scrutin proportionnel, voire au système biproportionnel.

B- Le cas de l’Union européenne.

Il serait plus simple d’appliquer le système à l’Union européenne qu’à la France, car l’Union européenne est déjà une association d’États, alors que la France est un État unitaire.

Dans ce nouveau système, on considère qu’il existe véritablement un peuple européen, formé des différents peuples nationaux. Le Parlement européen s’appelle l’Assemblée fédérale. Il est composé du Conseil du Peuple et du Conseil des Nations. Le Conseil du Peuple est élu à la représentation proportionnelle, chaque Nation y élit un nombre de députés proportionnel à son poids démographique. Le Conseil des Nations est élu au scrutin majoritaire, chaque Nation y possède deux députés, élus au suffrage direct. Chaque décision requiert l’accord des deux Conseils, qui disposent des mêmes pouvoirs.

La Commission européenne est remplacée par le Conseil fédéral, composée de dix membres, élus un par un mais à la représentation proportionnelle des partis par l’Assemblée fédérale. Cette nouvelle « Commission » n’a plus le monopole de l’initiative, elle partage cette initiative avec les autres institutions et les États membres.

À la demande d’un certain nombre de citoyens européens, une réforme constitutionnelle peut être proposée. Les citoyens, et un certain nombre d’État, ont en outre la capacité de soumettre au référendum un texte adopté par l’Assemblée fédérale.

La tendance des compétences respectives de l’Union et des Nations est inversée : il n’y a plus de compétences partagées, l’Union a le régalien, les Nations le reste. Il n’existe ni directives ni grandes orientations de politiques économiques, les Nations sont souveraines dans les domaines où elles sont compétentes.

Il est maintenu une Conférence interétatique, où chaque Gouvernement national délègue un membre, pour harmoniser le droit au niveau européen dans les domaines où les Nations restent souveraines.

Conclusion

La Suisse n’est pas un pays parfait mais, avec les pays scandinaves et la Nouvelle-Zélande, elle a sans doute la Constitution la moins mauvaise. Il serait pertinent de s’en inspirer pour faire évoluer le système français ainsi que le système européen, notamment sur la participation des citoyens aux prises de décision via de véritables outils de démocratie directe.