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Histoire & Elections

Des législatives 2022 à l’année de la proportionnelle ?

En juin 2022, les Français ont renouvelé la composition de l’Assemblée nationale et, fait inédit depuis plusieurs législatures, n’ont accordé de majorité absolue à aucune des forces et alliances politiques. Le gouvernement n’a obtenu qu’une majorité relative devant les trois principales oppositions : le Rassemblement National, les Républicains et la coalition des principaux mouvements de gauche, la NUPES.

Suite à ce résultat, certaines personnes ont parlé de proportionnelle pour commenter cette nouvelle répartition des sièges. Pourtant, si nous appliquions ce mode de scrutin aux suffrages des électeurs, l’Assemblée aurait un visage bien différent. Nous mettons de côté la question des modalités précises, notamment la taille des circonscriptions (départementales, régionales, nationale, autres) ou le seuil pour avoir des élus, mais évidemment ces éléments peuvent faire bouger les résultats. Donc, en appliquant une proportionnelle « standard », le gouvernement aurait conservé sa majorité relative mais aurait eu un nombre de sièges bien plus faible. La NUPES au contraire aurait eu plus de députés (quasiment le même nombre que LREM et ses alliés), ainsi que le Rassemblement National et Les Républicains. Par ailleurs, Reconquête ! aurait potentiellement disposé d’une représentation parlementaire (suivant quel seuil aurait été utilisé).

Désormais, le gouvernement doit compter sur les voix d’opposition(s) pour adopter ses textes ou a minima sur leurs abstentions. Ce fut le cas avec les deux textes concernent le pouvoir d’achat. En effet, aucun accord post-électoral ou coalition gouvernementale ne furent conclus, les forces en présence restant là où elles étaient initialement avant l’élection. En conséquence, nous pouvons nous dire que la France est dans l’antichambre d’un régime proportionnel. La répartition des sièges s’en approche en partie et des discussions doivent avoir lieu pour l’adoption des textes, sans que ce soit acté dans le marbre.

La nouvelle session parlementaire débutera en octobre. Pouvons-nous espérer l’adoption d’un texte sur la proportionnelle durant ces prochains mois ? Il existe en effet une majorité en faveur d’un tel changement à l’Assemblée nationale. La minorité présidentielle, les gauches et le Rassemblement Nationale y sont en effet favorables. Certes la majorité sénatoriale y est défavorable et pourrait retarder les débats et l’adoption d’une telle réforme, mais l’Assemblée peut disposer du dernier mot à l’issue de la navette parlementaire.

Nos espoirs peuvent être d’autant renforcés que le groupe Démocrate a déposé un texte dans le cadre de sa niche parlementaire de début octobre. Dans quelques semaines, les députées et députés pourraient débattre [selon l’ordre de débat des textes qu’ils souhaitent défendre] de cette exigence démocratique qu’est la « juste représentation ». Les députés MoDem souhaitent revenir au modèle de 1986, c’est-à-dire à une proportionnelle départementale, qui est régulièrement évoqué dans les débats sur un retour au scrutin proportionnel.

La question est de savoir ce que voteront les députés favorables au texte puisque les positions sur les modalités divergent. Certains défendent ou ont pu défendre l’idée d’une prime à la liste arrivée en tête [ce qui contrevient au principe même de proportionnelle]. Par ailleurs, d’autres pourraient préférer que ce débat ait d’abord lieu dans le cadre de la commission transpartisane sur la démocratie défendue par le Président Emmanuel Macron.

Réponse dans les prochaines semaines et les prochains mois ? Célébrerons-nous d’ici l’été prochain la (ré)adoption de la proportionnelle aux législatives en France ? Allons-nous connaître l’année de la proportionnelle ?

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Arguments

Pluralisme des idées, élus de terrain et élus “déconnectés”

L’élection des députés se fait aujourd’hui au système majoritaire à deux tours. Selon les territoires, les courants et partis politiques peuvent concentrer plus d’espoirs qu’en d’autres lieux.

Si l’on prend par exemple le cas de la gauche radicale : suite aux législatives de 2017, le Parti Communiste et la France Insoumise ont obtenu 33 députés et nombre d’entre eux provenaient des mêmes territoires. Six venaient de l’outre-mer dont cinq pour les communistes, la Seine-Maritime a envoyé trois députés communistes et le département du Nord en a envoyé deux insoumis et deux communistes. Paris et sa petite couronne ont fourni près du tiers des députés insoumis et communistes, principalement en Seine-Saint-Denis avec sept députés dont cinq insoumis.

Autre exemple, si les écologistes n’ont généralement que peu d’espoirs dans les territoires ruraux, les grandes métropoles leur sont plus favorables.

Toutefois, un même territoire peut être très divers et les découpages électoraux, n’étant jamais exempts de calculs peuvent favoriser tel ou tel parti ou courant alors que d’autres ont également une emprise idéologique forte. Ainsi, des courants idéologiques forts dans une ville, un département, une région peuvent être absents de sa représentation malgré les scores obtenus. Par exemple , le Rassemblement National n’a obtenu que 6 des 78 sièges du Conseil Départemental du Pas de Calais au lieu de la vingtaine qu’auraient pu lui permettre ses 29% au premier tour.

Le système majoritaire entraîne une sous-représentation de certains courants idéologiques tandis que d’autres sont sur-représentés. La France est riche de courants idéologiques : sociaux-démocrates, nationalistes, gaullistes, centristes, anti-capitalistes, républicains, libéraux, démocrates-chrétiens, communistes, écologistes, sociaux-conservateurs, démocrates, sociaux-libéraux, souverainistes, humanistes, etc. Ceux-ci sont généralement présents au sein de plusieurs partis et les partis sont transcendés par plusieurs courants pouvant être parfois rivaux. La majorité présidentielle avec La République en Marche en est un exemple entre les tenants sociaux-démocrates et les tenants plus libéraux. Par ailleurs, les approches d’un même courant peuvent varier selon le parti et les personnalités le portant. Permettre à ces courants d’être représentés à la hauteur de ce qu’ils obtiennent dans les urnes, cela encouragerait le débat d’idées et renforcerait notre démocratie. Nos partis sont au carrefour de différents courants politiques et c’est ce que doit être notre Parlement.

Certains considèrent que l’Assemblée Nationale ne doit pas être le reflet de ce que pensent les Français et les Françaises et que la proportionnelle entraînerait des élus coupés du terrain. Ce n’est ni notre vision, ni conforme à ce qui est possible. Qu’est-ce qui empêche les députés élus à la proportionnelle d’être au contact du terrain, de consulter professionnels, élus, associations et citoyens ? Rien. Qu’est-ce qui oblige les députés élus au scrutin majoritaire d’être au contact du terrain, de consulter professionnels, élus, associations et citoyens ? Rien.

En appliquant la proportionnelle intégrale, avec des listes régionales ou une liste nationale ou encore un système mixte à l’allemande, nous permettrions aux courants politiques d’être présents à l’Assemblée Nationale. En appliquant la proportionnelle intégrale, nous verrions des accords de gouvernement entre des courants idéologiques parfois rivaux, parfois opposés, parfois complémentaires. En appliquant la proportionnelle intégrale, nous mettrions au centre du débat public les idées et moins les individus, même si ceux-ci sont importants. En appliquant la proportionnelle intégrale, nous relancerions le principe de justice électorale et notre démocratie.

Damien Renault, secrétaire national de Démocratie & Proportionnelle