Cet article est écrit par Valentin Guillaume et ne reflète pas forcément l’opinion de l’ensemble des membres de l’association.
Hourra ! Les partisans de la proportionnelle ont gagné ! Comme l’explique un article de Capital, les deux finalistes de l’élection présidentielle sont d’accord pour changer de mode de scrutin. C’est formidable, quel que soit le candidat qui gagnera, notre association va donc pouvoir se dissoudre tranquillement, après seulement une année d’existence. Quelle efficacité !
Sauf que… Les choses ne sont évidemment pas si simples. Il y a des problèmes et des questionnements des deux côtés. Et s’il fallait trouver un terme pour résumer les choses, ce serait : flou. Analysons les deux positionnements.
Chez Le Pen, prime rédhibitoire
Du côté de Marine Le Pen, il y a longtemps que la proportionnelle est proposée et avant elle c’était déjà présent dans les programmes de son père. C’est assez naturel : c’est le seul système qui leur permet d’avoir presque automatiquement des sièges, comme on l’a d’ailleurs vu en 1986. Soulignons qu’il n’y avait que des deux candidats à avoir mentionné la proportionnelle dans la propagande officielle reçue dans (presque) toutes les boîtes aux lettres de France : Marine Le Pen et Philippe Poutou. Elle en parle par ailleurs de manière très régulière dans ses interviews, comme certains de ses soutiens. Donc on sent un véritable attachement à la mesure.
Alors, où ça coince ? Eh bien dans le détail : a priori (je mets a priori, car évidemment il y a un énorme flou dessus dans le programme et aucun journaliste à ma connaissance n’a vraiment pris la peine de l’interroger à fond sur cette question), ce qui serait mis en place, c’est une proportionnelle intégrale pour les deux tiers des députés. Et le dernier tiers ? Ben il serait donné automatiquement au vainqueur. C’est un mécanisme qu’on connaît bien, on y a droit lors des élections municipales et régionales. La prime majoritaire, instituée en tout premier lieu par un certain Benito Mussolini, est utilisée dans exactement trois pays au monde : Arménie, Grèce et Saint-Marin. Et dans les trois cas, ce sont des petites primes, rien de comparable avec un tiers des députés.
Remarquons par ailleurs qu’elle souhaite intégrer le mode de scrutin au sein de la Constitution et qu’elle souhaiterait que sa réforme institutionnelle passe par référendum, qui sont deux excellents principes. Et pour élargir au reste du programme, la mise en place d’un Référendum d’Initiative Citoyenne, sur le modèle suisse, serait une excellente chose d’un point de vue démocratique.
Chez Macron, passif et frilosité
Pour Emmanuel Macron, c’est un poil plus complexe. Déjà, le premier point que je veux absolument souligner, c’est le fait qu’il a été au pouvoir pendant cinq ans et qu’il n’a pas mis en place la proportionnelle, alors que cela aurait été possible via une simple loi ordinaire. Mais, d’une certaine manière, on peut être satisfait que cela n’ait pas été fait, car sa promesse de 2017 consistait en la mise en place d’une simple dose de proportionnelle, ce qui aurait été une réponse bien trop faible par rapport à la crise démocratique que notre pays connaît depuis plusieurs années.
Dans cette campagne, il s’est de nouveau déclaré favorable à la proportionnelle et même, grande nouveauté, à la proportionnelle intégrale. Sauf qu’il renvoie absolument tous les détails de la mise en place de cette mesure fondamentale à une commission. Sauf que des commissions, des rapports, des études, on en a un paquet, maintenant il faut trancher ! Comment expliquer la frilosité du Président sortant sur cette question, un sujet qui touche directement le domaine présidentiel, alors qu’il rentre dans les micro-détails de très nombreux autres sujets ? C’est absolument incompréhensible.
Et pire encore, il fait une connexion absolument non pertinente entre la proportionnelle et la baisse du nombre de parlementaires, alors que ce sont des sujets qui n’ont aucun rapport l’un avec l’autre. Il l’a encore réaffirmé lors du dernier jour de campagne.
Remarquons que comme en 2017, le mot proportionnelle n’est pas présent dans son programme qui évoque tout de même la fameuse commission. Tout cela repose donc uniquement sur des prises de position orales. Vu que même quand les choses sont officiellement mises par écrit, cela n’est pas forcément suivi d’effet (je pense notamment au Canada et au Québec, où dans les deux cas les dirigeants actuels avaient promis la proportionnelle avant d’abandonner la mesure en rase campagne), on peut s’inquiéter de la mise en place concrète de la mesure.
Notons néanmoins la présence dans l’entourage du Président de personnes très actives dans ce domaine, notamment les membres du MoDem, qui ont de manière transpartisane voté la proposition de loi du groupe de la France Insoumise (qui concernait le modèle 86, une proportionnelle départementale).
Un futur incertain pour la proportionnelle
J’aurais adoré être extrêmement optimiste sur le sujet du mode de scrutin pour les prochains temps. Malheureusement, la lecture des faits tend à me rendre pessimiste. Surtout que même si une bonne proportionnelle (bonne dans le sens en accord avec la charte de notre association) était mise en place, cela ne serait appliqué qu’en 2027 (sauf dissolution avant cela évidemment). Nous allons donc subir pendant cinq de nouveau une Assemblée nationale non représentative du vote des Français.
Mais justement, cette future Assemblée, il est important d’avoir en tête que c’est concrètement elle qui votera les lois. Il est donc particulièrement important de participer au vote des législatives de juin prochain, et de voter notamment pour des candidats qui se seront prononcés pour (même si évidemment l’on peut avoir de très nombreuses autres raisons de voter pour tel ou tel candidat dans sa circonscription).
L’association Démocratie & Proportionnelle continuera de suivre de près les évolutions de la situation, en pensant notamment aux autres scrutins, car même si c’est fondamental pour les législatives, il faut penser aux autres échelons qui méritent également un mode de scrutin juste (et malheureusement il n’en aura pas du tout été question lors de ces élections).
Valentin Guillaume, Président de Démocratie & Proportionnelle